Être heureux parce qu'on atteint ses objectifs ne peut avoir de valeur que si l'on a, sinon la certitude, du moins l'espoir d'une satisfaction précise engendrée par l'obtention des biens qu'on désire. Mais peut-on vraiment prévoir ce qui nous rendra heureux ? Y a-t-il alors une recette du bonheur ? C'est sur ce problème que s'interroge Kant, philosophe allemand des Lumières.
Extrait :
S’il était aussi facile de donner un concept déterminé du bonheur, les impératifs de la prudence ne différeraient pas de ceux de l’habileté et seraient également analytiques. En effet on dirait ici comme là que, qui veut la fin, veut aussi (nécessairement, s’il est raisonnable,) les seuls moyens qui soient en son pouvoir pour y arriver. Mais, hélas ! le concept du bonheur est si indéterminé, que, quoique chacun désire être heureux, personne ne peut dire au juste et de manière conséquente ce qu’il souhaite et veut véritablement. La raison en est que, d’un côté, les éléments qui appartiennent au concept du bonheur sont tous empiriques, c’est-à-dire doivent être dérivés de l’expérience, et que, de l’autre, l’idée du bonheur exprime un tout absolu, un maximum de bien-être pour le présent et pour l’avenir. Or il est impossible qu’un être fini, quelque pénétration et quelque puissance qu’on lui suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu’il veut ici véritablement. Veut-il la richesse, que de soucis, d’envie et d’embûches ne pourra-t-il pas attirer sur lui ! Veut-il des connaissances et des lumières, peut-être n’acquerra-t-il plus de pénétration que pour trembler à la vue de maux auxquels il n’aurait pas songe sans cela et qu’il ne peut éviter, ou pour accroître le nombre déjà trop grand de ses désirs, en se créant de nouveaux besoins. Veut-il une longue vie, qui lui assure que ce ne sera pas une longue souffrance ? Veut-il du moins la santé, combien de fois la faiblesse du corps n’a-t-elle pas préservé l’homme d’égarements où l’aurait fait tomber une santé parfaite ? Et ainsi de suite. En un mot, l’homme est incapable de déterminer, d’après quelque principe, avec une entière certitude, ce qui le rendrait véritablement heureux, parce qu’il lui faudrait pour cela l’omniscience.
Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs (1785), tr. Jules Barni.
Librairie philosophique de Ladrange, 1848.
Questions :
1. Définissez les termes soulignés en vous appuyant sur le texte ou en cherchant dans le dictionnaire si nécessaire.
2. L’auteur décrit plusieurs contradictions de la vie humaine dans la recherche du bonheur : relevez-les et reformulez-les.
3. Selon Kant, peut-on savoir à l'avance ce qui nous rendra heureux ?
4. En binôme, rédigez un dialogue argumentatif sur la question suivante : "Pensez-vous que le vécu d’un homme puisse rendre plus claire l’idée qu’il se fait du bonheur ?"
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